"Vaseco" 3
"Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre." [1]
Ce mois-ci, j'échange avec
Myriam Ohm
ou "Un peu d'on mais sans oeufs"
Myriam me fait l'immense gentillesse de me recevoir.
J'ai le même plaisir à vous la présenter avec cet échange
sur le thème de la "dualité"
J'ai le même plaisir à vous la présenter avec cet échange
sur le thème de la "dualité"
Face-à-face clandestin
Je n’aime pas son regard. Je n’ai jamais aimé son regard, à vrai dire. Ce regard noir qui semble me pénétrer à chaque fois qu’il se pose sur moi. Exactement le même regard que celui que papa posait sur moi lorsque, môme, je faisais des bêtises. Des bêtises de môme, qui ne méritaient pas ce regard-là… Non, je ne crois pas. Ni ce qui suivait à chaque fois, d’ailleurs. L’obscurité de la cave. L’haleine qui sentait l’ail et le mauvais alcool. Les coups de ceinture. La porte fermée à double tour. Les rats et les fantômes pour seuls compagnons d’une heure, ou plus si affinités. Je n’aime pas son regard, à ce type qui me toise chaque soir dans le miroir de la salle de bain. Pour tout dire : il me fait peur. Il me fait peur quand vient l’heure pour le soleil d’aller se coucher. Parce que, déjà – parce que, trop tôt – il reparaît, l’autre. Dans le miroir de la salle de bain. Il me fait peur. Avec sa gueule de travers et son siècle de retard. Avec sa moustache qui a quelque chose à cacher, et ses mains souillées. |
Je ne me rappelle pas les avoir déjà vues souillées, d’ailleurs. Du moins, pas comme ça. Ces mains que j’ai tout le loisir de scruter lorsqu’à son arrivée, sa main gauche vient dompter avec difficulté ses cheveux ébouriffés, et que la droite glisse le long de sa moustache, mécaniquement. Ces mains de mâle dont les ongles rongés viennent trahir une anxiété qu’il dissimule pourtant avec adresse habituellement. Non, à bien y réfléchir, je n’ai jamais perçu ceci auparavant... Difficilement perceptible à l’œil nu, il me semble pourtant que l’on ne voit aujourd’hui qu’elle : cette tache indélébile dans la paume de sa main droite. Une tache sombre. Une tache de sang séché. Un frisson parcourt mon corps. Je retourne ma propre main pour en distinguer la paume, et y trouve cette même tache. D’un sang qui, apparemment ne semble appartenir ni à moi, ni à l’autre, ce type qui me toise chaque soir dans le miroir de la salle de bain. Je ne crois pas avoir observé la paume de ma main une seule fois au cours de la journée – au cours du peu de journée qu’il me restait en réalité, suite à un réveil tardif. Y était-elle déjà à mon réveil ? Probablement. Elle doit donc dater d’hier soir.
Le problème, c’est que mes soirs ne m’appartiennent jamais vraiment. Non, c’est à l’autre qu’ils appartiennent, comme les souvenirs qui y sont liés. Je me souviens seulement d’un coup de téléphone, sur les coups de dix-huit heures. C’était Elodie. Elodie, ma compagne depuis maintenant un an. On s’est un peu engueulés parce qu’elle en avait marre de ne jamais me voir et m’a dit vouloir passer dans la soirée. J’ai essayé de l’en dissuader, et elle a fini par raccrocher. Après, je suis passé dans la salle de bain pour me mouiller le visage et puis… plus rien. Est-elle passée, hier soir ? A-t-elle rencontré, l’autre, ce type qui me toise chaque soir dans le miroir de la salle de bain ? Intérieurement, je prie n’importe quel Saint pour qu’elle ne l’ait pas fait. Avant de laisser ma place à l’autre, pour me rassurer, je bondis dans le salon, saisis le téléphone et tape frénétiquement son numéro. Bip… Bip... Bip… Bonjour, vous êtes sur le répondeur d’Elodie, je ne suis pas là pour le moment, mais vous pouvez me laisser un message ; je vous rappellerai dès que possible ! Et merde.
Mon cœur se crispe et mon corps se tord sous une indicible douleur. L’autre réclame son tour. Mes jambes me portent avec peine jusqu’à la salle de bain. Je ne peux pas. Non, ne peux pas. Lui laisser ma place avant de savoir... Avant d’être certain que... Dans le miroir de la salle de bain, je retrouve le type qui m’y toise chaque soir. Son visage s’est coloré d’un rouge vif et son regard est d’un noir plus profond. Soudain, ses yeux se posent à gauche, en direction de la douche que dissimule un rideau vert anis. Un doute m’assaille. A leur tour, mes yeux dévient en direction de la douche. Fébrilement, je tends ma main vers le rideau, et tire d’un coup sec. Tchak. Le bac de la douche a troqué son blanc écarlate pour un rouge vermeil. Un rouge vermeil qui semble provenir du corps inerte qui gît à l’intérieur. Ce corps, celui d’Elodie. Cette Elodie que j’avais appris à connaître, depuis un an déjà. Cette Elodie que je m’étais surpris à aimer chaque jour un peu plus. Cette Elodie avec qui j’aurais voulu construire le reste de ma vie… Si l’autre n’avait jamais été là. Cette précieuse Elodie dont l’autre me prive aujourd’hui définitivement.
|
Soudain, je relève mon corps qui était tombé à terre et lance un regard empli de haine à l’autre. Cet autre à qui je laisse, depuis trop longtemps maintenant, la moitié de ma vie. Cet autre qui n’aura pas su respecter les règles du jeu. Cet autre pour qui je n‘aurai plus aucune compassion dorénavant ! Espèce d’enfoiré ! T’es allé trop loin cette fois-ci… Dès demain matin, on va refaire un petit séjour à la Clinique de la Sagesse. Crois-moi, on n’est pas près de se croiser à nouveau un jour, toi et moi ! Je m’attends à le voir perdre sa couleur rouge pour opter pour un blanc blême. Je m’attends à l’entendre me supplier de ne pas faire ça, de le laisser vivre. Mais, rien de tout ça. Les joues toujours aussi rouges, le regard toujours aussi noir, il sourit. Mes jambes chancellent, ma vue se brouille, mon cœur s‘emballe, et puis, plus rien.
[…]
J’aime pas ses yeux. Ses yeux de chien battu. J’ai jamais aimé, ni les chiens, ni les faibles qui baissent leurs yeux quand ils croisent les miens. Et c’est pourtant ce qu’il fait, l’autre, qui me dévisage chaque matin, l’air hagard, dans le miroir de la salle de bain. Comme un gosse. Un gosse à qui on doit montrer le droit chemin. Et ce gosse-là a beau avoir vieilli, il n’a jamais su le suivre, le bon chemin. Alors, heureusement que je suis là, pour le lui indiquer du regard. Con de môme. Qui n’aura jamais su faire les bons choix, saisir les bons moments, s’entourer des bonnes personnes.
C’est qu’il m’aura bien fait rire hier soir, l’autre, avec ces mêmes menaces qu’il brandit à chaque fois... avant que, chaque matin, il ne découvre sa salle de bain plus propre que jamais et n’en vienne à douter de ma propre existence.
[…]
J’aime pas ses yeux. Ses yeux de chien battu. J’ai jamais aimé, ni les chiens, ni les faibles qui baissent leurs yeux quand ils croisent les miens. Et c’est pourtant ce qu’il fait, l’autre, qui me dévisage chaque matin, l’air hagard, dans le miroir de la salle de bain. Comme un gosse. Un gosse à qui on doit montrer le droit chemin. Et ce gosse-là a beau avoir vieilli, il n’a jamais su le suivre, le bon chemin. Alors, heureusement que je suis là, pour le lui indiquer du regard. Con de môme. Qui n’aura jamais su faire les bons choix, saisir les bons moments, s’entourer des bonnes personnes.
C’est qu’il m’aura bien fait rire hier soir, l’autre, avec ces mêmes menaces qu’il brandit à chaque fois... avant que, chaque matin, il ne découvre sa salle de bain plus propre que jamais et n’en vienne à douter de ma propre existence.
© Myriam Ohm
ou "Un peu d'on mais sans oeufs"
ou "Un peu d'on mais sans oeufs"
La dualité, un vaste tissu dans lequel mon aiguille s'est défilée. Néanmoins,comme je suis régulièrement le blog de Myriam, intéressée par ses personnages si vivants et variés, parfois inquiétants du timide à l'angoissé, je me suis inspirée de l'On bien évidemment sans oeufs, mais avec eux : les "Ons". Mon texte "Hugo a dit" est ici http://blogmaestitia.xawaxx.org/2013/12/06/Hugo-a-dit
[1] "Une circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre." Une idée originale de François Bon ( Tiers Livre/ Publie.net) et Jérôme Denis (Scriptopolis), mise en scène par Brigitte Célerier. Chaque premier vendredi du mois un auteur écrit chez l'autre, à charge pour chacun de conclure le mariage et de constituer la dot.
Le Rendez-vous des vases, c'est ici
http://rendezvousdesvases.blogspot.fr/
ou là
https://www.facebook.com/groups/104893605886/10151608389690887/?notif_t=group_activity
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"Vaseco" 2
Échange avec
sur le thème du "cheveu"
Les tifs de Wonder Woman, c'est que du taff.
La veille du premier du mois prochain, je me retrouve coincée sur mon canapé, devant pondre un «Vase Communiquant» pour échanger avec Marilyn. Quels mots aligner ? Dans quel ordre ? Comment échapper aux clichés ? Faut-il bien opter pour des lignes bien peignées ou des paragraphes décoiffés, des phrases hirsutes ? C'est quoi une phrase hirsute d'abord... Pas l'ombre d'une idée. Je me fais des cheveux. Tombe un mail de Marilyn, qui m'informe qu'elle file pour de vrai chez le coiffeur...Elle a déjà fini son texte, la veinarde...Après avoir entraperçue ma tignasse dans le miroir de l'ascenseur,je me demande si je ne devrais l'imiter...Planter là mon mac et mon thé chai... Quoi de mieux qu'une bonne séance capillotractée pour remettre sa vie sur de nouveaux rails et repartir du bon tif ? Ma life échevelée en aurait tellement besoin. Je naquis châtain foncé, voir pruneau dijonais. J'aurais tellement aimé arborer une crinière noir jais, comme Snow White ou Wednesday 13. Ou Wonder Woman, qui est parée d'une voluptueuse chevelure ébène, d'une nuance nuit sans lune à faire pâlir les étoiles de sa culotte bouffante. |
Il s'agit bien sûr ici de la super héroïne originelle, celle imaginée en 1942 par un psychiatre, Dr William Moulton Marston. Celui-ci, indigné qu'il n'y avait pas de super-héros féminins, a écrit à un magazine pour dénoncer cette effroyable machisme. Il était convaincu que tous les hommes désiraient secrètement une femme plus puissante que leurs mères. Persuadé que les femmes sont plus honnêtes et plus fiables que les hommes, il voulait donner corps à cette magnifique idée. En imaginant sa super héroïne, il voulait transformer les jeunes ricaines en femmes fortes. |
Sa première idée était de la nommer Suprema.
Mais son assistant Sheldon Mayer l'a convaincu d'opter pour le nom de Wonder Woman.
Moulton bien que dessinateur frustré, a créé la it-héroïne parfaite jusqu'au bout de la tignasse :
the Wonder !
Mais son assistant Sheldon Mayer l'a convaincu d'opter pour le nom de Wonder Woman.
Moulton bien que dessinateur frustré, a créé la it-héroïne parfaite jusqu'au bout de la tignasse :
the Wonder !
Une amazone qui abandonna son île idyllique pour rejoindre les USA et les défendre contre les méchants nazis - désolée par cette association un peu rebattue, de l'adjectif méchant au nom commun nazi, mais ça fonctionne toujours. Pourquoi s'en priver ? (Horribles nazis, abominables nazis, atroces nazis c'est un peu redondant.) Ça me démange de décoller du canapé pour courir chez l'artiste capillaire d'en bas de chez moi, à moins que j'aille chez celui qui est de l'autre côté de la nationale ou chez un franchisé en promotion coupe-couleur chaque jeudi. (Au fait, jeudi, c'est bien aujourd'hui ?)
Revenons à la femme phénomène. Wonder Woman a été lancé dans trois magazines différents dont All Star Comics # 8 ( Décembre 1941). Elle se vendait mieux que Batman et Superman. Ce fut une source d'inspiration inépuisable pour les féministes. Même si une grande partie de son lectorat était aussi masculine qu'acnéique. Voici sa coiffure à la création, inspirée comme on peut le voir de la déesse grecque Artémis, une chasseuse de cerfs et d'autres personnes non-humaines hantant bois et forets sombres. Déesses et dieux grecs arborent toujours de belles boucles domptées. C'est pourquoi WW a ses bouclettes graphiques, élégantes sur sa houpette frangée, somptueuse en bordure de crinière brune. |
Et pour couper net, sans effilochage bas de gamme ou dégagement intempestif derrière les oreilles, recentrons-nous un instant sur l'essence même de l'initiale WW, ainsi définie par son génial créateur : "Not even girls want to be girls so long as our feminine archetype lacks force, strength, and power. Not wanting to be girls, they don't want to be tender, submissive, peace-loving as good women are. Women's strong qualities have become despised because of their weakness. The obvious remedy is to create a feminine character with all the strength of Superman plus all the allure of a good and beautiful woman."
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"Une circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre." Une idée originale de François Bon ( Tiers Livre/ Publie.net) et Jérôme Denis (Scriptopolis), mise en scène par Brigitte Célerier : chaque premier vendredi du mois un auteur écrit chez l'autre, à charge pour chacun de conclure le mariage et de constituer la dot. Si vous êtes tentés par l’aventure, faites-le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants… https://www.facebook.com/groups/104893605886/10151608389690887/?notif_t=group_activity
Camille et moi, avions décidé d'échanger sur le thème du "cheveu". Étant très prise dans la vraie vie par un projet qui me tirait réellement les cheveux comme nullement littéraire si ce n'est dans son aspect marketing, j'ai eu l'idée rapide, en dernière minute, de rédiger pour notre fan de WonderWoman cet épisode très court « Wonderwoman se tire les cheveux : « Des chiffres et des lettres à en zozoter ! ». Vous pouvez le lire ici http://camillephi.blogspot.fr/2013/10/vase-communicant-de-novembre-2013.html. D'autres textes d'auteurs sont à découvrir ici... Rendezvousdesvases
Camille et moi, avions décidé d'échanger sur le thème du "cheveu". Étant très prise dans la vraie vie par un projet qui me tirait réellement les cheveux comme nullement littéraire si ce n'est dans son aspect marketing, j'ai eu l'idée rapide, en dernière minute, de rédiger pour notre fan de WonderWoman cet épisode très court « Wonderwoman se tire les cheveux : « Des chiffres et des lettres à en zozoter ! ». Vous pouvez le lire ici http://camillephi.blogspot.fr/2013/10/vase-communicant-de-novembre-2013.html. D'autres textes d'auteurs sont à découvrir ici... Rendezvousdesvases
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"Vaseco" 1
ISTHME ©Sylvie Pollastri. Octobre 2013
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Le rythme du monde tic-tac autour de moi, dont les gestes ralentissent imperceptiblement, marquent un tempo un peu plus lourd. J’entre ainsi dans l’épaisseur de la vie urbaine, comme une barque qui fend les eaux dans sa marche vers. Des silhouettes, des bruits de pas, les hommes sont comme les arbres d’une forêt dans laquelle je m’enfonce. J’en respire les bruits, ces mille mots qui m’effleurent de leur quotidien : un concours auquel la candidature fut refusée, des histoires de meilleur lycée où enseigner, une agitation momentanée parce qu’il n’y aura pas de changement de train mais il faudra prendre un bus pour arriver à destination, un rappelez-moi-plus-tard-au-bureau, un mari dont la femme va bientôt accoucher, une histoire de belle-sœur. Ces échos de vie parviennent jusqu’à la marge de mon monde. Je pense peu. Je laisse ma vie s’écouler au milieu des hommes. Comme un isthme entre deux mers.
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[1] - "Une circulation horizontale pour produire des liens autrement… Ne pas écrire pour, mais écrire chez l’autre." Une idée originale de François Bon ( Tiers Livre/ Publie.net) et Jérôme Denis (Scriptopolis), mise en scène par Brigitte Célerier : chaque premier vendredi du mois un auteur écrit chez l'autre, à charge pour chacun de conclure le mariage et de constituer la dot. Si vous êtes tentés par l’aventure, faites-le savoir sur le mur du groupe Facebook des vases communicants… https://www.facebook.com/groups/104893605886/10151608389690887/?notif_t=group_activity
Mon texte « Le tout premier "Après" » est ici http://sylviepollastri.wordpress.com/2013/10/03/le-tout-premier-apres/ et vous pouvez aussi poursuivre votre lecture ici Rendezvousdesvases