Petites scènes capitales / Sylvie Germain

L'auteure : Sylvie Germain est née en 1954 à Châteauroux. Elle a suivi au cours des années 70 des études de philosophie auprès de Levinas [1]. Ses premiers écrits (contes et nouvelles) datent de cette époque.
Elle a travaillé ensuite un temps comme documentaliste (DATAR, Conseil d'État, cabinet d'architecture), puis au ministère de la Culture à la Direction de l'audiovisuel (sans précision connue du poste) et en 1986, elle est partie vivre à Prague, où elle a enseigné la philosophie et le français jusqu'en 1993. Après les années pragoises, Sylvie Germain se consacre à son activité littéraire.
La suite, on peut la lire sur des dizaines de pages sur le Net :
"Depuis près de trente ans, Sylvie Germain construit une œuvre singulière, couronnée de nombreux prix littéraires : six prix pour le Livre des Nuits, Femina pour Jours de colère, Grand prix Jean Giono pour Tobie des marais, Goncourt des lycéens pour Magnus, Grand prix SGDL pour l’ensemble de son œuvre. Elle vient d’entrer à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique." [2].
« Petites scènes capitales » est son dernier livre paru aux éditions Albin Michel et le second ouvrage de son palmarès que j’ai lu au jour de cette chronique que j'étaye néanmoins d'articles sur ses autres œuvres. [3].
Elle a travaillé ensuite un temps comme documentaliste (DATAR, Conseil d'État, cabinet d'architecture), puis au ministère de la Culture à la Direction de l'audiovisuel (sans précision connue du poste) et en 1986, elle est partie vivre à Prague, où elle a enseigné la philosophie et le français jusqu'en 1993. Après les années pragoises, Sylvie Germain se consacre à son activité littéraire.
La suite, on peut la lire sur des dizaines de pages sur le Net :
"Depuis près de trente ans, Sylvie Germain construit une œuvre singulière, couronnée de nombreux prix littéraires : six prix pour le Livre des Nuits, Femina pour Jours de colère, Grand prix Jean Giono pour Tobie des marais, Goncourt des lycéens pour Magnus, Grand prix SGDL pour l’ensemble de son œuvre. Elle vient d’entrer à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique." [2].
« Petites scènes capitales » est son dernier livre paru aux éditions Albin Michel et le second ouvrage de son palmarès que j’ai lu au jour de cette chronique que j'étaye néanmoins d'articles sur ses autres œuvres. [3].
Sylvie Germain, si vous êtes passés par ma page résumé des chroniques, je l'ai donc découverte par hasard, curieuse de lire une écriture féminine captant des générations plus jeunes et je me suis étonnée de l'ignorer totalement, il est vrai de plus en plus perdue dans le foisonnement littéraire qui caractérise notre histoire contemporaine à côté des génocides et autres bouleversements climatiques et financiers préoccupants - et bien sûr, elle n'a rien à voir avec Levy et Foenkinos !
Sylvie Germain comme dit Pierre Assouline dans la République des Livres est avec David Bosc "l'auteur(e) d'un des romans les mieux écrits de la rentrée littéraire" (2013).
Quand je l'ai découverte avec "L'Inaperçu", j'ai été véritablement agréablement surprise de lire (ce qui est aujourd'hui difficile à trouver) une histoire dans un texte de qualité, de surcroît à tendance poétique, qui m'a tenue en haleine tout en me laissant (hélas) un long moment une petite note d'insatisfaction : une impression de survol des situations psychologiques amplifiée par la gêne de la forme narrative "rapportée", cette "voix" (ou ces "voix") si appréciée par certains notamment dans "Le Livre des Nuits" . (Source).
"Pourtant, cependant, nonobstant" (mots chers à l'auteure qui me sont si parents) est arrivé un moment où j'ai été littéralement emportée, tombée d'extase (et d'amour) sur un passage totalement différent et d'une force extrême : le dossier de Zélie...
Sylvie Germain comme dit Pierre Assouline dans la République des Livres est avec David Bosc "l'auteur(e) d'un des romans les mieux écrits de la rentrée littéraire" (2013).
Quand je l'ai découverte avec "L'Inaperçu", j'ai été véritablement agréablement surprise de lire (ce qui est aujourd'hui difficile à trouver) une histoire dans un texte de qualité, de surcroît à tendance poétique, qui m'a tenue en haleine tout en me laissant (hélas) un long moment une petite note d'insatisfaction : une impression de survol des situations psychologiques amplifiée par la gêne de la forme narrative "rapportée", cette "voix" (ou ces "voix") si appréciée par certains notamment dans "Le Livre des Nuits" . (Source).
"Pourtant, cependant, nonobstant" (mots chers à l'auteure qui me sont si parents) est arrivé un moment où j'ai été littéralement emportée, tombée d'extase (et d'amour) sur un passage totalement différent et d'une force extrême : le dossier de Zélie...
"Quelque chose dans ma bouche remue comme un vent mou
Je est partie sans même prendre le temps de naître
Prudence quand on mord dans une pomme une prune une pêche ! Elles pourraient bien vous mordre en retour Un orage gronde en silence dans le noyau des fruits
(...)
Père double et double erreur : le lumineux relégué dans l'ombre le sombre exposé en plein jour La faute est retombée sur moi
L'écriture nous sauve de rien, elle n'aide qu'à retarder l'instant fatal
A midi avec des spaghettis et mes cheveux j'ai tressé des scoubidous blond tomate"
Je est partie sans même prendre le temps de naître
Prudence quand on mord dans une pomme une prune une pêche ! Elles pourraient bien vous mordre en retour Un orage gronde en silence dans le noyau des fruits
(...)
Père double et double erreur : le lumineux relégué dans l'ombre le sombre exposé en plein jour La faute est retombée sur moi
L'écriture nous sauve de rien, elle n'aide qu'à retarder l'instant fatal
A midi avec des spaghettis et mes cheveux j'ai tressé des scoubidous blond tomate"
Ces neuf pages (version poche) au style inattendu m'ont emportée au paradis... et le nom de Sylvie Germain s'imprima fortement dans ma glaise cérébrale !
Il y a peu, ainsi, alors que j'attrapais sur un étalage "Trop de bonheur" (prix Nobel de la littérature 2013) d'Alice Munro (une autre écriture féminine encore inconnue), je vis à ses côtés "Petites scènes capitales". Je lus confiante la quatrième de couverture, et intéressée (et surtout curieuse de suivre l'évolution de l'auteure), je n'hésitais pas à m'en charger les bras...
Il y a peu, ainsi, alors que j'attrapais sur un étalage "Trop de bonheur" (prix Nobel de la littérature 2013) d'Alice Munro (une autre écriture féminine encore inconnue), je vis à ses côtés "Petites scènes capitales". Je lus confiante la quatrième de couverture, et intéressée (et surtout curieuse de suivre l'évolution de l'auteure), je n'hésitais pas à m'en charger les bras...
L'histoire, c'est celle de Lili. Lili-Barbara, fille abandonnée par sa mère sans qu'elle l'ait véritablement connue, qui sera tout aussi "évacuée" par son père... Celle également des nombreux personnages qui la nourrissent : Viviane, sa "mère" de remplacement ; ses "frère et sœurs" de composition, autres "petites pièces rapportées" ; le tout dans un contexte historique intéressant, à cheval autour de 68.
Si sa plume classique est indéniablement belle, je la qualifie seulement d'experte - (j'entends des cris ou suis-je Jeanne d'Arc ?) : ce n'est ni du Duras, ni du Triolet, ni du Proust, ni du Balzac - ou du Bauchau... Il y manque cette "magie invisible" (que certains ont trouvée) dans l'harmonie du conte et des allégories (certaines très belles).
Sylvie Germain nous embarque sur ses mots. Là où sa poésie effleurait timidement, comme pudique telle dans l'inaperçu, ici nous avons droit à de longues envolées lyriques, au risque avéré de nous - et de la - griser d'ivresse poétique. Bah comme dit Pierre Assouline, "Qu'importe au fond tant que l'ivresse poétique ne nuit pas à la fluidité du récit d'une rédemption l'autre."
Hélas... Sur le fond, j'ai éprouvé les mêmes gênes.
Tout d'abord l'insuffisance ou la suffisance des "portraits" psychologiques. Des images fortes, des détails subtils, de magnifiques tableaux, cependant noyés dans les allégories colorées (surchargées ?) comme dégagés d'une fusion froide. Il y manque toujours cette chaleur humaine - il est vrai que l'auteure nous place tout du long du récit sur le versant nord de la montagne-vie - ce qui me fait crier "Non, non, la joie peut ne pas être uniquement fugace !"
"La joie n'appartient pas à la durée, elle apparaît où et quand ça lui chante, comme la beauté, elle fulgure, se sauve, c'est un esprit follet, mais les petites échardes solaires qu'elle lance dans sa course se piquent dru dans la chair, ne se laissent pas oublier."
Seuls deux passages dans cette fusion "à basse énergie" ont réussi à m'extraire de l'émotion. Celui de l'enfant, la petite Sophie atteinte de phocomélie, ceci au prix d'une imagination débordante à féliciter, et celui du "corps-rouleau" de Lili-Barbara, artiste peintre, partie du récit où l'auteure enfin s'exprime, me récompensant sur le tard à l'identique de ma lecture de l'Inaperçu : enfin, Sylvie Germain se "lâche". Ce narrateur pesant devient temporairement ce Je, créant alors l'harmonie fugace avec cette voix "off" (qui n'a rien de la perfection du scribe "au récit murmuré" de Jón Kalman Stefánsson dans "Entre ciel et terre").
"Elle taillade, elle cisaille, elle écharpe avec méticulosité tous ses tableaux. La peau grumeleuse des toiles, empâtée d'ocre, de bistre, d'or et de fauve appliqués par son corps-rouleau, s'éparpille en menus lambeaux. Sa peau seconde, sa chair d'huile de lin et de pigments multiples, se desquament. Barbara dépèce les empreintes de son corps, elle se dépiaute, s'écorce, s'écorche. (...)".
Et tout aussi fort, l'impression d'un pur questionnement. Le même que le nôtre. A tenter de comprendre ce dualisme originel, ce vide et ce plein réels ou supposés, sans nous offrir aucune piste si ce n'est de suivre ce détachement éthéré à "observer, écouter, respecter" avec une sagesse impulsée par une foi.
"Petites scènes capitales" est un conte de vie, point fable.
Ma prochaine lecture de Sylvie Germain sera, je l'espère, l'ouvrage qu'elle n'a pas encore écrit ou qu'elle garde secret (qui sait ?) : un recueil de poèmes ou une prose intégralement poétique...
En attendant, je ne peux que vous recommander de lire ces "Petites scènes capitales" ou ses autres ouvrages. Malgré mon sentiment personnel, Sylvie Germain demeure un des écrivains majeurs contemporains.
Si sa plume classique est indéniablement belle, je la qualifie seulement d'experte - (j'entends des cris ou suis-je Jeanne d'Arc ?) : ce n'est ni du Duras, ni du Triolet, ni du Proust, ni du Balzac - ou du Bauchau... Il y manque cette "magie invisible" (que certains ont trouvée) dans l'harmonie du conte et des allégories (certaines très belles).
Sylvie Germain nous embarque sur ses mots. Là où sa poésie effleurait timidement, comme pudique telle dans l'inaperçu, ici nous avons droit à de longues envolées lyriques, au risque avéré de nous - et de la - griser d'ivresse poétique. Bah comme dit Pierre Assouline, "Qu'importe au fond tant que l'ivresse poétique ne nuit pas à la fluidité du récit d'une rédemption l'autre."
Hélas... Sur le fond, j'ai éprouvé les mêmes gênes.
Tout d'abord l'insuffisance ou la suffisance des "portraits" psychologiques. Des images fortes, des détails subtils, de magnifiques tableaux, cependant noyés dans les allégories colorées (surchargées ?) comme dégagés d'une fusion froide. Il y manque toujours cette chaleur humaine - il est vrai que l'auteure nous place tout du long du récit sur le versant nord de la montagne-vie - ce qui me fait crier "Non, non, la joie peut ne pas être uniquement fugace !"
"La joie n'appartient pas à la durée, elle apparaît où et quand ça lui chante, comme la beauté, elle fulgure, se sauve, c'est un esprit follet, mais les petites échardes solaires qu'elle lance dans sa course se piquent dru dans la chair, ne se laissent pas oublier."
Seuls deux passages dans cette fusion "à basse énergie" ont réussi à m'extraire de l'émotion. Celui de l'enfant, la petite Sophie atteinte de phocomélie, ceci au prix d'une imagination débordante à féliciter, et celui du "corps-rouleau" de Lili-Barbara, artiste peintre, partie du récit où l'auteure enfin s'exprime, me récompensant sur le tard à l'identique de ma lecture de l'Inaperçu : enfin, Sylvie Germain se "lâche". Ce narrateur pesant devient temporairement ce Je, créant alors l'harmonie fugace avec cette voix "off" (qui n'a rien de la perfection du scribe "au récit murmuré" de Jón Kalman Stefánsson dans "Entre ciel et terre").
"Elle taillade, elle cisaille, elle écharpe avec méticulosité tous ses tableaux. La peau grumeleuse des toiles, empâtée d'ocre, de bistre, d'or et de fauve appliqués par son corps-rouleau, s'éparpille en menus lambeaux. Sa peau seconde, sa chair d'huile de lin et de pigments multiples, se desquament. Barbara dépèce les empreintes de son corps, elle se dépiaute, s'écorce, s'écorche. (...)".
Et tout aussi fort, l'impression d'un pur questionnement. Le même que le nôtre. A tenter de comprendre ce dualisme originel, ce vide et ce plein réels ou supposés, sans nous offrir aucune piste si ce n'est de suivre ce détachement éthéré à "observer, écouter, respecter" avec une sagesse impulsée par une foi.
"Petites scènes capitales" est un conte de vie, point fable.
Ma prochaine lecture de Sylvie Germain sera, je l'espère, l'ouvrage qu'elle n'a pas encore écrit ou qu'elle garde secret (qui sait ?) : un recueil de poèmes ou une prose intégralement poétique...
En attendant, je ne peux que vous recommander de lire ces "Petites scènes capitales" ou ses autres ouvrages. Malgré mon sentiment personnel, Sylvie Germain demeure un des écrivains majeurs contemporains.
[1] Son mémoire de maîtrise porte sur la notion d’ascèse dans la mystique chrétienne, et sa thèse de doctorat concerne le visage (Perspectives sur le visage. Trans-gression ; dé-création ; trans-figuration) (Source).
[2] Mais aussi, ce qui n'est pas dit ici, elle a été candidate au fauteuil de Pierre-Jean Rémy (n° 40) à l'Académie française le 24 janvier 2013. L'élection a été déclarée blanche après quatre tours de scrutin. Au dernier tour : 12 voix pour Sylvie Germain, 5 pour Alain-Gérard Slama et 11 bulletins marqués d'une croix. (Source).
[2] Mais aussi, ce qui n'est pas dit ici, elle a été candidate au fauteuil de Pierre-Jean Rémy (n° 40) à l'Académie française le 24 janvier 2013. L'élection a été déclarée blanche après quatre tours de scrutin. Au dernier tour : 12 voix pour Sylvie Germain, 5 pour Alain-Gérard Slama et 11 bulletins marqués d'une croix. (Source).
[3] Ouvrages :
- Le Livre des nuits (Gallimard, 1984), prix du Lions Club International 1984, prix du Livre Insolite 1984, prix de Passion 1984, prix de la Ville du Mans 1984, prix Hermès 1984 et prix Grévisse 1984
- Nuit d'Ambre (Gallimard, 1987)
- Jours de colère (Gallimard, 1989), prix Femina 1989
- Opéra muet (Maren Sell, 1989)
- La Pleurante des rues de Prague (Gallimard, 1991)
- L'Enfant Méduse (Gallimard, 1992)
- Vermeer- Patience et Songe de lumière (Flohic, 1993)
- Immensités (Gallimard, 1993)
- Éclats de sel (Gallimard, 1996)
- Les Échos du silence (Desclée de Brouwer, 1996), Prix de littérature religieuse 1997, rééd. Albin Michel, 2006
- Céphalophores (Gallimard, 1997)
- Tobie des marais (Gallimard, 1998)
- Bohuslav Reynek à Petrkov (Christian Pirot, 1998)
- L'Encre du poulpe (Gallimard Jeunesse, 1999)
- Etty Hillesum (Pygmalion Gérard Watelet, 1999, 2006)
- Cracovie à vol d'oiseaux (du Rocher, 2000)
- Mourir un peu (Desclée de Brouwer, 2000)
- Grande Nuit de Toussaint (Le temps qu'il fait, 2000)
- Célébration de la paternité (Albin Michel, 2001)
- Le vent ne peut être mis en cage (Alice, 2002), ISBN 2-930182-17-2
- Chanson des mal-aimants (Gallimard, 2002), Grand Prix Thyde Monnier 2002 et prix des Auditeurs de la RTBF 2003
- Couleurs de l’invisible (Al Manar, 2002)
- Songes du temps (Desclée de Brouwer, 2003)
- Préface à Gesualdo de Jean-Marc Turine (Benoît Jacob, 2003)
- Les Personnages (Gallimard, 2004)
- Ateliers de lumière (Desclée de Brouwer, 2004)
- Magnus (Albin Michel, 2005) Prix Goncourt des lycéens 2005
- L'inaperçu (Albin Michel, 2008)
- Hors champ (Albin Michel, 2009)
- Patinir, Paysage avec Saint Christoph (Éditions Invenit, 2010)
- Quatre actes de présence (Desclée de Brouwer, 2011)
- Chemin de croix (Bayard Centurion, 2011)
- Le monde sans vous (Albin Michel, 2011)- Prix Jean Monnetde Littérature européenne 2011
- Rendez-vous nomades (Albin Michel, 2012)