Une saison / Sylvie Bocqui
Ce que j’ai apprécié :
Lire de la Littérature !
« Chambre 108. Elle a toqué trois coups brefs. Elle attend. Pas de réponse, elle entre.
La femme est de dos. Elle a une tresse noire d'une improbable longueur (...). Elle a une épingle à cheveux dans la bouche, et les lettres chuintent sur le "s" (...) » Femme objet
Femme cintre Femme silencieuse Femme inapparente... Dans un luxe de détails récursifs, l'écriture nous promène de chambre en chambre, scandant la douloureuse transparence inhumaine de cette femme...
« (...) elle a vu un homme allongé nu sur son lit, qui n'a pas levé les yeux de son livre tandis qu'elle passait devant lui qui se caressait pour aller poser une corbeille de fruits sur la table ; (...) elle a vu que son regard ne valait rien, ni ses mots pour dire les choses, ni elle. »
« Fallait-il ramasser le mini slip en voile et où le mettre ? Pouvait-elle prendre le pourboire froissé sur la table ? Aurait-elle pu s'abstenir de demander à monsieur, en le regardant sans le voir, si monsieur avait besoin de quelque chose d'autre avant de lui souhaiter une bonne journée ? Fallait-il vraiment tirer la chasse d'eau et employer la brosse ? »
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L'auteure : Sylvie Bocqui vit et travaille à Strasbourg... Une saison est son premier roman publié chez Arlea Editions. Il est en course pour le Goncourt du Premier roman [1]...
"Elle" est gouvernante d'étage dans un palace de la Riviera. Gouvernante d'étage implique de vérifier la "parfaite" perfection des chambres louées, extrêmes propreté et arrangement du décor, pour de fortunés hôtes d'une nuit ou de quelques jours.
L’intrigue minimale, dont j'ai attendu avec une relative impatience qu'elle se noue, tourne autour de cette femme. Qui, que, quoi, pourquoi, resteront sans autre réponse que sa quête de sens à une vie, qui l'a plongée dans une solitude insoutenable. Roman psychologique, l'écriture nous promène dans un décor suranné, martelant de ses mots sa transparence inhumaine.
Le récit est non daté. L'histoire s'y prête. Elle tourne autour de la solitude de cette jeune femme et son seul refuge dont elle ne parvient pas à s'échapper : ses sens... et ses ocelles... taches colorées laissées par les parfums des clients, qu'elle teste et note avec maniaquerie dans son calepin. L'ambiance du décor me fait cependant songer à une époque révolue, qui nous embarque aisément dans des réflexions plus générales comme l'utilisation de l'homme comme un robot : femme gouvernante dans un palace ou homme attelé à une machine dans une chaîne ouvrière reçoivent les mêmes égards... Trois détails dans la narration, si descriptive, viennent toutefois infirmer un possible contexte contemporain. Plaisir féminin des sens si bien exacerbés, j'ai relevé un parfum ancien qui a malheureusement été abandonné depuis 1975 : "Câline" de Jean Patou (à mon grand dam !). De même, des robes aux motifs géométriques de couleur "violet violette, vert avril, (avec) d'épais cernes noirs", remontent également à quelques années. Enfin, une information très précise à propos de la télévision ("il y a la météo locale, nationale, (...) il y a la carte de la France avec les températures qui s'arrêtent aux frontières") est très remémorative de cette époque Fort heureusement, cette limitation n'a plus cours aujourd'hui. Ces détails m'incitent à penser que le décor remonte aux années 70... et colorent différemment l'histoire, en accentuant l'impression que la fin du roman m'a semblé d'une autre écriture, moins garnie, plus fluide, là où elle nous plonge dans une grosse bulle... de bulle en bulle... |
"jusqu'à la dernière, la toute dernière, une petite lentille translucide
qui reste collée à sa narine (...)"
qui reste collée à sa narine (...)"