EXPRESSION EXCEPTION
La liseuse / Paul Fournel
Photo
P.O.L.

La liseuse, roman publié en 2012, est son avant-dernière œuvre [1]. 

La liseuse n'est pas une femme. C'est bien cet objet "au contact froid", dont on fait tourner les pages "qui se déposent nulle part", disparaissant "corps et biens dans un endroit imaginaire" que notre protagoniste - un vieil éditeur doux-amer, pas même nostalgique (bien qu'avalé tout cru avec sa maison d'édition ancienne mode) - a du mal à imaginer. Un objet trop petit ou trop grand. Cette énorme révolution dans l'univers de l'édition en total bouleversement avec lequel ses inventeurs espèrent indéniablement (quoiqu'on dise) envoyer le bon livre-papier au pilon avant l'heure [2].

La liseuse : un très bon titre, mais l’objet, qui nous offre tout de même quelques anecdotes croquantes, disparaît très vite, complètement oublié dans les coulisses de l'histoire qui lui est substituée, celle d'une banale maison d'édition rachetée avec son créateur par les ogres qui ont débarqué dans le monde de l’édition et ne publient plus que ce qui peut - à risque nul - résonner métallique !  

Au niveau de l'intrigue, rien d'original... Les personnages sont simples. Nul recours à la cérébralité de l'analyse psychologique ou de la thèse philosophique... L'histoire s'enlise même un peu jusqu’à l’arrivée de tendres jeunes (les stagiaires) qui épicent les plats (l'auteur nous a servi à répétition des "montagnes de blanquettes", des "cathédrales de boudins"...), jusqu'à l'indigestion (ou comblant les gourmands). La fin est extraordinairement brève et décevante. Notre vieil éditeur, pas plus fou que d'aucuns ont pu le ressentir, s'abandonne égoïstement avec tous les ouvrages qu'ils auraient préféré lire mais qu'il n'a pas pu : "que n'a-t-il du temps pour lire enfin les livres qui valent la peine et réclament du temps", ceci sans aucun émoi envers sa tendre moitié fraîchement disparue...

Mais alors quel est donc l'attrait de ce livre, publié chez P.O.L. Côté écriture ? Sans doute... 
J'ai découvert Paul Fournel avec cet ouvrage, qui n'est honnêtement pas le plus emballant que j'ai lu et qui m'a laissé une certaine déception. La première moitié du livre est constituée de dialogues. Un long apéro suivi de ces mets à vous donner une indigestion. Le tout est servi par une plume légère certes, outre agréablement ironico-poétique, mais j'ai aussi été interpellée par d'étranges coupures, comme une séparation de chapitre en plein dialogue (p. 63) ou une fin de chapitre se terminant par "Pendant ce temps, moi," (p. 178). Or, l'auteur nous indique que ce qui peut sembler à prime abord de "légères coquilles" est volontaire, nous en délivrant l'énigme en dernière page : 
"le texte épouse la forme d'une sextine, forme poétique inventée au XIIe siècle par le troubadour Arnaut Daniel. Il en respecte le nombre de strophes et la rotation des mots à la rime. Les mots lue, crème, éditeur, faute moi et soir tournent en fin de vers selon l'hélice classique de la sextine. Les vers sont mesurés (...)."

Mais qu'est-ce donc qu'une sextine ?
Bref, La liseuse est un divertissement honorable pour le lecteur (dont le titre est cependant trompeur), instructif pour les profanes de l'édition avec toutes ses anecdotes de chapelles, ses  rituels, ses grandeurs s'il y en a eues et ses nombreux ridicules, le reste ne constituant rien qu’un petit tour de nos sociétés aujourd'hui bien connu : là-bas ça sent la moiteur de la terre ocre. Ici, c’est le béton mouillé... L'illustration parfaite de ce qui peut être lu sur liseuse.

L'auteur : écrivain français, né le 20 mai 1947 à Saint-Étienne, est auteur de romans, de livres jeunesse, de nouvelles, de poésies, de pièces de théâtre et d'essais [3]. Il a obtenu des prix littéraires. 
Paul Fournel a suivi  l'École normale supérieure de Saint-Cloud. Aux carrières de la recherche et de l'enseignement, il a cependant préféré le métier d'écrivain et d'éditeur [4] assurant également des postes de direction dans des institutions culturelles en France ou à l'étranger [5]. Principalement, Paul Fournel ne cesse d'explorer l'écriture. Son premier ouvrage Clefs pour la littérature potentielle est consacré à l'Oulipo - l'ouvroir pour une littérature potentielle, (voir "Ce que j'ai apprécié") - dans lequel  il est entré sous le patronage de Raymond Queneau en 1972. Il en est l'actuel président depuis mai 2003. 
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Ce que j’ai apprécié :
Le rappel non inutile de ce qu'est un vrai éditeur qu'on reconnaît à son goût du risque et à son impossible assurance dans la prévisibilité d'un succès, constituant ainsi en supposé amoureux des mots ses propres joies...

L'énigme de la fin. Mais une sextine : qu'est-ce c'est? De-ci de-là, les curieux découvrent qu'il s'agit d'un poème composé de six strophes, que chacune est composée de six vers dont les mots-rimes doivent tourner selon une certaine rotation mathématique, dont la dernière, la tornada, ne comprend que trois vers. Plus d'explications sont disponibles sur le site de l'Oulipo. Il existe aussi des mongines, des quenines, des onzains... soit l'infini des formes et contraintes envisageables. 

Jusque-là, on imagine que le curieux opiniâtre peut tenter d'entreprendre quelques vérifications éparses... Mais l'auteur précise que "les vers sont mesurés" et que cette mesure subit l'attrition naturelle du destin d'un mortel ici conté. Ainsi, la première strophe est  "composée de vers de 7500 signes et blancs, la deuxième de 6500 signes et blancs, et ainsi de suite (...). L'ensemble constituant un poème de 180 000 signes et blancs." 
Certains chroniqueurs relèvent que le récit épouse avec naturel cette jolie forme poétique qui "ne pèse ni ne pose" (si ce n'est ces étranges coquilles relevées en cours de lecture...). J'avoue n'avoir entrepris aucune vérification chiffrée.

Les connaisseurs indiquent encore que Paul Fournel "n'est pas avare de clins d'œil envers ses amis de l'OULIPO, notamment Queneau, Roubaud, Le Tellier, Perec, Jouet, Bens, qui viennent faire des apparitions plus ou moins masquées". 
Tout esprit curieux ne saurait rester sur sa faim et je l'invite ainsi à s'embarquer pour un voyage en terre oulipienne, celle "de la littérature en quantité illimitée, potentiellement productible jusqu'à la fin des temps, en quantités énormes, infinies pour toutes fins pratiques que l'on fabrique dans un ouvroir."
 OU signifiant ouvroir (un atelier) où on y fabrique de la LI (de la littérature, ce qu'on lit et ce qu'on rature, soit de la LIPO), PO signifiant potentiel. (Tiré du site de l'Oulipo).  

Parmi ses membres, on y trouve Calvino, Perec, Marcel Duchamp, Roubaud et d'autres. Tous sont "mathématiciens et littérateurs, littérateurs-mathématiciens et mathématiciens-littérateurs. Ils travaillent. A quoi ? A faire avancer la LIPO (dit l'Oulipo). Comment ? En inventant des contraintes. Des contraintes nouvelles et anciennes, difficiles et moins diiffficiles et trop diiffiiciiiles. La Littérature Oulipienne est une littérature sous contraintes."

Ce que j'ai moins apprécié
Si la réflexion de Paul Fournel sur ce que devient notre monde, sous une forme narrative totalement abordable, demeure intéressante pour le profane notamment en posant des questions cruciales, cet ouvrage compose avant tout un jeu personnel qui demeure réservé aux adeptes et laisse sur leur faim les liseurs effrénés, lecteurs enamourés de mots et de sens. 
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[1] Anquetil tout seul, récit, 2012, Seuil.

[2] Avec l'aide de purs financiers appâtés par l'espoir d'un profit encore envisageable !
[3] Paul Fournel écrit des romans (Foraine, Chamboula, La liseuse), des poèmes (Toi qui connais du monde), des livres pour les enfants (Les Aventures très douces de Timothée le rêveur), des notes en forme de journal personnel (Poils de cairote), des nouvelles (Les Grosses Rêveuses ; Les Athlètes dans leur tête) et des essais (Besoin de vélo).
[4] chez Hachette , Encyclopædia Universalis, Slatkine-France et Honoré Champion, Ramsay, Laffont-Seghers.

[5] Président de la Société des gens de lettres, directeur de l'Alliance française de San Francisco, attaché culturel à l'ambassade de France du Caire.
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